Avec la sortie en librairie du nouveau volume en français des aventures du jeune sorcier le plus célèbre de la littérature mondiale, Harry Potter et le Prince de Sang-Mêlé, la mécanique du marketing qui fait tapage risque de nous faire prendre en grippe un succès littéraire mérité. Quelle que soit notre affinité avec un genre bien particulier, entre récit pour enfants et roman fantastique, on doit reconnaître que J. K. Rowling, l’auteur de la saga, maîtrise bien son métier d’écrivain. Elle le maîtrise si bien qu’elle entraîne, au fil des romans, son public dans des directions qu’on n’aurait pas soupçonnées à lire le premier volume, il y a maintenant huit ans.
Harry Potter à l’école des sorciers (une traduction d’emblée plus innocente que le titre original, Harry Potter et la pierre du sorcier) était un joli conte à la Dickens sur l’espoir d’un orphelin. Avec les trois derniers volumes, le changement de décor est spectaculaire : nous voici aux prises avec la mort, la politique, la violence et le mal, dans un univers auquel le dernier volume donne des connotations extrêmement sombres puisqu’il se termine tragiquement et qu’Harry quitte brutalement l’enfance en s’excluant de ce lieu heureux qu’a été pour lui son école des sorciers.
On l’a peu remarqué en effet, mais le monde d’Harry Potter est un monde magique sans véritable magie, en ce sens qu’il s’agit d’un univers intégralement laïcisé. La sorcellerie n’est jamais représentée comme un moyen d’échapper à l’humanité ou de défier un dieu singulièrement absent de ces volumes. Dans le dernier volume, cette laïcisation est absolue, puisque même la divination est réduite à sa plus simple expression.
La thématique de la prophétie, qui avait encore quelques airs de surnaturel, est purement et simplement balayée par l’auteur, au risque d’une petite contradiction, puisque ce thème jouait un rôle non négligeable dans le tome précédent.
La sorcellerie n’est pas une puissance occulte. Elle est un don, une condition une sorte de mutation, pour ainsi dire. Ce don, il faut l’entretenir, l’éduquer, le civiliser en quelque sorte : c’est à cette fin que sont établies des écoles de magie, d’onéreuses Public schools anglaises qui n’ont rien de nos démocratiques écoles de la République. C’est ce qui rend l’univers magique si humain, car ces sorciers repassent leurs formules magiques comme tous les enfants du monde repassent leurs leçons pour l’école du lendemain, et ces internes sont nostalgiques de leur famille, mais aussi un peu soulagés d’être loin d’elles, comme tous les internes du monde.
Avec Harry Potter, la magie ne change rien au monde, ni aux sentiments que les êtres humains éprouvent l’amour, l’amitié, la fierté, la timidité, la haine, le mépris, le racisme, l’ambition et tout particulièrement l’ambition politique. Elle les rend parfois plus compliqués, ou plus artificiels grâce aux philtres d’amour ; elle ne les transforme pas.
S’il y avait une leçon à en tirer, c’est sans doute que nous avons tous été de petits sorciers manipulant des formules magiques pour faire plier les puissances supérieures (et notamment nos parents à coup de « s’il te plaît ») et considérant le bestiaire fantastique qui nous entoure avec perplexité (et notamment les fourmis dans le jardin). C’est sans doute ce qui plaît aux enfants.
L’autre leçon, c’est que même si nous conservons en nous cette part de magie celle qui nous fait apprécier, adultes, la lecture d’Harry Potter , cela enrichira nos vies, sans doute, mais cela ne les transformera pas fondamentalement. Et même la puissance de nos magies intérieures ne pourra nous prémunir, car elle peut aussi bien se tourner contre nous. Il y a dans Harry Potter des magies noires. Il n’y a pas - faut-il le souligner ? - de magie blanche.
Reste tout de même une force qui explose dans cet univers dépourvu de salut : l’amour. Non la passion amoureuse, du reste délicatement peinte en quelques traits à travers les émois adolescents d’un petit groupe d’amis. Harry, finalement, y renonce. L’amour dont il s’agit est celui d’une mère qui se sacrifie pour un enfant, ou d’un vieillard qui préfère croire à la bonté plutôt qu’à la malédiction et en paie le prix. Si simple qu’en soit l’expression, c’est la véritable part de sacré dans ces histoires de sorciers. Et ce qui nous rend impatients de découvrir l’ultime volume qui devrait suivre Harry et le Prince de Sang-Mêlé, c’est de savoir si Harry Potter le comprendra à son tour.