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Des remèdes pires que le mal pour la recherche
Date de publication originale : jeudi 3 novembre 2005, par Thierry Leterre
Dans un système français fondé sur le sous-financement des universités, appeler à mieux le financer ne signifie pas trouver une solution pour notre système, mais bien changer de système.

Le constat est unanime : la recherche française va mal. Deux classements internationaux et un pré-rapport de la Cour des comptes ont récemment aggravé le pessimisme ambiant. Malheureusement, les solutions proposées s’apparentent à un essai pour sortir d’une impasse en se jetant à toute force contre le mur qui la ferme.

Les deux classements qui font parler d’eux sont celui dit « de Shanghaï », recensant les 500 meilleures universités du monde, et le rapport annuel de l’OCDE. Dans le premier, seuls quatre établissements français se classent parmi les 100 premiers mondiaux (Paris-VI est 46e, meilleur rang français) ; dans le second, la France n’est que 19e sur les 26 pays étudiés en termes de recherche. Quant au rapport de la Cour des comptes, encore confidentiel, il n’a d’intérêt que parce que les préconisations qui ont filtré reprennent des lieux communs qui traînent dans la haute administration, mais aussi à la Conférence des présidents d’université depuis dix ans...

Il faut sans doute relativiser les indicateurs dont on se sert pour évaluer la situation. Au risque de voir les pessimistes professionnels m’accuser de casser le thermomètre pour nier la fièvre, je montrerai quelque scepticisme à l’égard du classement dit « de Shanghaï ». Hétérogène, il mélange sciences exactes et sciences sociales, sans prendre en compte le droit et les humanités, et ses critères sont uniquement anglo-saxons. Il faut pousser la naïveté scientiste un peu loin pour penser que cela est sans aucune relation avec le fait que 70 % des « 100 premières » universités sont précisément anglo-saxonnes... Troublant classement, d’ailleurs, où Yale, la grande université rivale de Harvard (bonne premiere du classement), se trouve seulement en 11e position. Vexant, pour une université dont sont diplômés les trois derniers présidents des États-Unis.

Autant que ces classements, les réactions qu’ils suscitent chez nous doivent inquiéter. Lorsque, alarmé par les indications de Shanghaï, le directeur de l’enseignement supérieur français - un universitaire haut fonctionnaire, donc - déclare l’an passé à un parterre de collègues que sa priorité est de remonter les universités françaises dans le classement, l’intention est louable, mais doublement tragique : d’une part, en montrant que désormais la politique de la recherche française se fait à Shanghaï, on affiche la vacuité des objectifs ; d’autre part, les moyens ne répondent pas. Rien n’est fait pour nous aider à être cités dans les index pris en compte, pour qu’un panel de revues ni anglaises ni américaines figure dans les éléments pris en compte (par exemple, un index européen de la recherche), ou que soit relativisé le poids de tel ou tel critère - comme celui des prix Nobel, surreprésenté.

Même chose pour le classement OCDE. Dans un système français fondé sur le sous-financement des universités, appeler à mieux le financer (par exemple, en augmentant considérablement les droits d’inscription, comme en Grande-Bretagne) ne signifie pas trouver une solution pour notre système, mais bien changer de système. Le voulons-nous, dans un pays déjà épuisé de réformes ?

Découragés, nous regardons du côté du grand modèle : les États-Unis. Acte d’humilité ? Non, mais plutôt le bon vieil orgueil français qui n’hésite pas - quitte à se flageller - à se comparer à un pays cinq fois plus peuplé et aux universités... 200 fois plus chères. Ce regard démesuré s’aveugle quand on appelle à créer des centres d’excellence européens, « cinq ou dix Harvard », sans comprendre que ce qui fait la force des États-Unis est précisément qu’il n’y a pas eu de volonté centrale pour créer Harvard, mais l’utilisation systématique, le développement, l’encouragement des forces existantes.

C’est d’ailleurs sur le registre de l’incompréhension que l’on peut considérer les quelques informations en provenance de la Cour des comptes : autonomie en trompe-l’oeil des universités (l’État gardant le haut pilotage de la recherche), contractualisation du statut des enseignants chercheurs (à côté de laquelle le statut des enseignants titulaires américains passerait pour soviétique), bureaucratisation des tâches... Aucune incitation en revanche (comme une défiscalisation massive) pour pousser le secteur privé à investir dans la recherche publique. L’État veut que ses chercheurs changent, il ne veut pas changer lui-même, et demeure dans la routine des vastes plans de réformes structurelles qui se substituent à la nécessaire réflexion sur les ressources humaines.

Au fait, si l’on tient absolument aux classements et aux modèles étrangers, pourquoi ne pas aller voir ces « petits pays » de sept ou huit millions d’habitants, la Suisse et la Suède, qui au classement « de Shanghaï » logent trois ou quatre de leurs institutions dans les 100 premières mondiales ? Créer cinq ou six Instituts de Zurich (27e) ou de Karolinska (45e), c’est moins chic que Harvard, mais peut-être davantage dans nos cordes...

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