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Que reste-t-il du Parti socialiste ?
Date de publication originale : jeudi 2 juin 2005, par Thierry Leterre
Tout militant socialiste est de son parti non par son opinion d’abord, mais par son action

Parmi les spectaculaires fractures révélées par la campagne référendaire, la moins commentée est pourtant l’une des plus révélatrices de la réorganisation politique du pays : c’est le fossé qui s’est installé entre les militants et les électeurs socialistes. Les militants, lors d’un référendum interne à leur parti en décembre 2004, avaient, à près de 59 % d’entre eux, fait voter le « oui ». Cinq mois plus tard, les électeurs ne se sont pas autrement montrés impressionnés et ont voté majoritairement « non ». Il est clair que les uns et les autres ne vivent plus tout à fait dans le même univers politique. La difficulté s’accroît si l’on considère le raz de marée du « non » au traité constitutionnel dans les électorats susceptibles d’apporter leurs voix aux candidats du PS lors de consultations à deux tours. Le PS dans son appareil militant était pour le « oui », le peuple de gauche fut majoritairement pour le « non ».

La situation apparaîtra sous un jour plus sombre encore si l’on remarque que le Parti socialiste n’est pas seulement débordé par les électeurs, mais qu’il est l’un des seuls partis à l’être avec les Verts, ce qui doit nuancer la thèse selon laquelle le « non » est un vote protestataire à l’égard des partis politiques. Les indications de l’UMP, de l’UDF ont été fort bien suivies par l’électorat conservateur. Les recommandations inverses ont été reçues et appliquées par les électorats de sensibilité communiste, d’extrême gauche ou d’extrême droite. Très peu d’analyses au PS ont pris la mesure de la déchirure. La formule d’Arnaud Montebourg parlant de la nécessité de réconcilier les 56 % d’électeurs socialistes qui ont voté « non » et les 58 % de militants socialistes qui ont voté « oui » demeure isolée. On préfère la plupart du temps se limiter aux enjeux internes. Ainsi Jean-Marc Ayrault peut au lendemain du désaveu rappeler que les « militants auraient le dernier mot ». Il n’a visiblement pas pris conscience que les électeurs l’avaient eu auparavant.

En ce sens accuser les fauteurs de division, mettre en cause François Hollande pour ne s’être pas montré plus ferme en excluant les tenants du « non » ressortit plus de la démarche conjuratoire que de l’analyse réaliste. Certes, les clivages internes ne sont jamais une bonne chose pour gagner une élection. Mais l’ampleur du rejet à gauche où aucune sensibilité sur ce bord du spectre n’a voté majoritairement pour le « oui » montre l’insuffisance du diagnostic. Il est aussi illusoire de se consoler en rêvant que les voix du « non » étant bâillonnées, le vote de gauche eût été différent. Tout au contraire, c’était le meilleur moyen d’ajouter à une déroute électorale une crise d’appareil avec une direction, majoritaire chez les militants, et minoritaire dans l’électorat. La réalité, c’est que François Hollande a évité le pire. Le fait qu’on ne s’en aperçoive pas au PS montre l’incapacité de ce parti à donner ne serait-ce qu’un semblant de diagnostic.

Quel est le problème des socialistes ? L’attachement illusoire au vieux mythe du parti de masse, où la direction du parti est l’organe d’une action militante elle-même prolongation dynamique de la pensée des électeurs. Or, les résultats du 29 mai montrent qu’il ne reste pas même le fantôme de ce projet d’unité entre parti et électorat : il y a d’un côté un appareil partisan qui rassemble sur ses enjeux cadres et militants du parti, et de l’autre côté d’une frontière politique désormais bien marquée, des électeurs. Sur la frontière, des hommes et quelques femmes politiques en lutte pour le pouvoir. Lors de la campagne sur le traité constitutionnel, il est clair que ceux qui ont rejoint les électeurs étaient en opposition avec l’appareil partisan.

Tout militant socialiste est de son parti non par son opinion d’abord, mais par son action. Ainsi un militant socialiste n’est pas d’abord socialiste : il est d’abord un militant, qui se pose des questions de militant, s’occupe de réunions de section, distribue la parole, vote des motions, défend la doctrine du parti quand elle est faite. Et si le parti aime le traité constitutionnel, il doit se boucher les yeux et les oreilles plutôt que de remettre en cause la vérité du parti, ou même les arguments du parti y compris avec des électeurs de son camp. Tant que le militant parvient à persuader, le jeu démocratique en bénéficie. Le fait est qu’aujourd’hui, il ne convainc plus. C’est le signe qu’un parti de gauche à l’ancienne est devenu un instrument obsolète, incapable de fédérer un mouvement d’opinion élaboré au sein du parti et un électorat. L’une des vérités du 29 mai, c’est que le Parti socialiste est un buisson de bois mort où la sève de la vie politique se raréfie.

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