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Le nouveau visage de la Présidence

mercredi 31 octobre 2007, par Thierry Leterre

Un de mes premiers essais de commentaire politique sur les institutions. J’y retrouve ma conviction que la présidence de la Ve est le noeud du problème et que seule une action énergique pour réformer l’Exécutif peut nous permettre d’en finir avec le malaise institutionnel. En même temps, on verra que je suis l’un des rares commentateurs politiques favorables à la cohabitation.

De quoi souffre la République ? De la surpuissance de l’organe présidentiel, de la « dérive monarchique », comme on dit, qu’elle encourage, de l’écrasement des débats par les échéances présidentielles, de la réduction des partis au rôle de machines (voire de machins) à produire des « candidats virtuels ». Le problème est-il neuf ? Nullement. M. Mitterrand, on ne se fait pas faute de le rappeler, a dénoncé très tôt les méfaits de la Constitution de la Ve République, avant de se laisser séduire par les charmes monarchiques du régime. Mais ce serait mettre de côté l’histoire que de réduire le problème à une affaire de Constitution. Le mal vient de plus loin, il est à la source de l’idée républicaine en France. Il faut le rappeler : la République n’a jamais su articuler de manière satisfaisante les pouvoirs législatif et exécutif. N’oublions pas que la République -la première- naît d’un régicide. Au-delà des symboles, on doit constater que, dès cet événement, la République repose sur le conflit entre un exécutif qui aspire à la reconnaissance et un législatif qui veut affirmer sa prééminence. Quatre Républiques sont déjà mortes du dilemme : exécuter l’exécutif ou se faire exécuter par lui. La première : passée à la trappe par Napoléon. La seconde, confisquée par Louis-Napoléon. La troisième : expirant entre les mains du Maréchal Pétain. La quatrième : en ruine, appelant le futur président de Gaulle. Le long terme donne de ces leçons. Ce vieux problème détermine encore les attitudes des hommes politiques aujourd’hui. Mais certaines possibilités se font jour qui transparaissent dans le discours du président Mitterrand.

Disons-le tout de suite : l’espoir ne vient pas de l’énième réforme de la Constitution annoncée, tactique désormais consommée pour détourner les griefs et désamorcer les critiques, mais d’une attitude, d’un style que le Président de la République a adoptés l’autre jour. A bien des égards, par rapport à la norme de la Ve République, c’est un Président politiquement affaibli que nous avons vu, apparemment peu convaincu (en tous cas peu convaincant) lorsqu’il affirme que « rien n’est joué » pour les législatives. Mais n’est-ce pas la norme de la Ve République qui est en train d’évoluer ? Plus qu’un Président affaibli, nous avons vu plutôt un Président à distance des majorités parlementaires, plus ou moins « proche »de certaines comme il l’a dit, mais jamais confondu. Cela est logique dans le contexte de la cohabitation -celle vécue entre 1986 et 1988, celle promise en 1993 par les commentateurs. Mais la sincérité de cette attitude est renforcée... par la contestation larvée dont le Président est l’objet au sein de sa propre majorité, et qu’il évoquait au terme de son intervention lundi 9 novembre. Le Président Mitterrand apparaît moins comme le représentant de ses amis politiques qui le « déçoivent », et plus « au-dessus de la mêlée » (un peu trop lui reproche-t-on parfois). Les Présidents de la République ont toujours aspiré à ce rôle, interdit aux Présidents dominateurs de la Ve. Le Président Mitterrand est plus crédible, parce que, justement, contesté, prêt à affronter une seconde cohabitation, l’homme politique Mitterrand est vulnérable. N’en déplaise à ceux qui souhaite un vrai régime présidentialiste : avec les cohabitations, la représentation nationale a son rôle à jouer, et la fonction présidentielle risque d’être bien plus renouvelée de ce fait que par les modifications prévues de la durée du mandat.

On a dit beaucoup de mal de la cohabitation ; disons d’elle un peu de bien. Lors d’une cohabitation, l’exécutif est en partie contrôlé par le parlement pour ce qui concerne le Premier Ministre. Comme l’a rappelé M. Mitterrand, ce Premier Ministre a les mains libres tant qu’il agit en étroite collaboration avec le parlement : en clair lorsqu’il fait voter les lois. En revanche, la pratique des ordonnances est bloquée si le Président s’y oppose. C’est dire que durant la cohabitation, le centre de la vie politique peut se déplacer lentement du gouvernement vers l’Assemblée. Cela comporte le resaisissement du débat parlementaire, et par conséquent, la possibilité pour des hommes politiques de la majorité de jouer un rôle effectif. Le Premier Ministre, dès lors, a un rôle clé, car il ne doit pas être prisonnier de sa majorité. La véritable victoire de M. Mitterrand en 1988 a peut-être été de faire oublier la maîtrise de M. Chirac dans des circonstances difficiles. La place du Premier Ministre n’était pas encore très clairement marquée. Si une seconde cohabitation se produisait, elle pourrait l’être plus nettement. L’image de la présidence en sera affectée. Le Président aurait un rôle d’arbitre actif, marqué politiquement, au sens où ses choix seraient affichés et sa latitude pour agir assez grande. Ce rôle n’est pas tout à fait nouveau. Un détour par l’histoire nous rappelle qu’un autre Président en avait rêvé : Millerand, en 1924. Mais la IIIe République ne se prêtait pas à ce rêve. La Ve le pourrait-elle ?

La nouvelle donne institutionnelle peut donc se résumer ainsi : les Français ont à choisir entre un régime marqué par la prééminence de la présidence lorsque les majorités parlementaire et présidentielle coïncident et un régime plus parlementaire en cas de désaccord. Equilibre instable ou harmonie enfin trouvée pour la Ve République ? Question d’hommes, plus que d’institutions.