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Une mauvaise Constitution, un bon traité
Date de publication originale : lundi 16 mai 2005, par Thierry Leterre
Il faut sortir de l’autisme du « oui », avoir le courage de rappeler que l’Europe dont nous parlons demeure une création internationale même si elle présente un degré supérieur d’intégration qui, en cas de besoin, permettrait un rassemblement puissant de nos forces grâce au traité de 2005.

Les Français, plus que d’autres, se sont interrogés sur la nature constitutionnelle du traité qui sera soumis dans notre pays à référendum le 29 mai. Pour la plupart des Européens il s’agit juste d’un traité, le quatrième en treize ans, voilà tout. Malheureusement, les Français ont pris le thème constitutionnel au sérieux, et cela a eu les effets dévastateurs que nous constatons aujourd’hui. Au-delà d’une question technique (réglée par le fait, me semble-t-il, que notre Constitution admet comme supérieure à elle-même des traités, non des Constitutions), c’est toute une sensibilité politique française qui s’est trouvée blessée par un débat inutile et incertain que la Convention, en franchissant le Rubicon constitutionnel, a imprudemment suscité.

Pourquoi en France ? Parce que, contrairement à d’autres, notre histoire constitutionnelle, moins juridique que politique et symbolique, est faite de révolutions et de réactions, de coups d’État et de guerres. Et de rejet : comment a-t-on pu oublier que fut repoussée par référendum la première version de la Constitution de la IVe République ? Fâcheux précédent...

Il ne faut pas ignorer l’histoire nationale sous prétexte d’Europe : c’était laisser s’installer la confusion sur le sens de notre vote et se condamner à choisir entre l’autisme du « oui » et la radicalité du « non ». Autisme du « oui » : ne pas voir les graves défauts attachés au traité s’il s’agissait d’une Constitution. Radicalité du « non » : feindre d’ignorer les progrès que le texte entérine.

Considérons l’aspect dit « libéral » du traité. Les Français savent qu’ils vivent dans un monde de marché ; à une petite majorité, ils sont prêts à admettre les avantages qu’ils en tirent. Que l’économie concurrentielle fasse partie de leur environnement (acté par nombre de traités) est un fait ; qu’elle doive devenir partie intégrante de notre Constitution est un pas que nombre de nos concitoyens répugnent à franchir.

Prenons les institutions. Du point de vue d’un traité, le texte est largement salué comme un progrès par rapport à l’état existant du traité de Nice. L’Union fonctionnera mieux s’il est adopté, la France y renforce sa capacité de décision, les compétences sont clarifiées, la garantie des droits humains consolidée, le jeu des pouvoirs rééquilibré entre Parlement et Conseil, et l’ensemble serait mieux identifié grâce à un président du Conseil européen et un ministre des affaires étrangères. Tout cela est dit et mérite d’être rappelé sans cesse. Ajoutons, pour les généreux, que cela permettra de faire progresser la solidarité à l’égard de partenaires européens qui en ont dramatiquement besoin et, pour les égoïstes, que si l’Union devenait invivable, un pays puissant comme la France pourrait en sortir en en gardant les avantages grâce aux procédures instituées par le traité.

Pourtant, les dispositions institutionnelles demeurent difficilement conciliables avec les normes constitutionnelles d’une civilisation démocratique. Organe d’un traité, le Parlement européen jouit de droits étendus ; comparé à une situation interne, il demeure réduit à la portion congrue. Et imaginerait-on, dans le cadre d’une discussion budgétaire, d’exclure les sénateurs élus de collectivités dont les comptes ont dérapé ? C’est pourtant ce que prévoit le traité qui porte que, lors de discussions de sanction, les représentants du pays soumis à la mesure ne prennent pas part au vote. La disposition, naturelle s’il s’agit de régler les rapports extérieurs d’États indépendants, serait odieuse au sein d’un corps politique.

Il faut sortir de l’autisme du « oui », avoir le courage de rappeler que l’Europe dont nous parlons demeure une création internationale, même si elle présente un degré supérieur d’intégration qui, en cas de besoin, permettrait un rassemblement puissant de nos forces grâce au traité de 2005.

Le mythe dit que Persée tua la Méduse, une créature si horrible que sa simple vue transformait en pierre celui qui la regardait. Il se servit d’un miroir pour la défaire, puis emballa sa tête dans sa besace, d’où il la tira ensuite pour vaincre le géant Atlas, qu’il statufia. Sage leçon : emballons le monstre constitutionnel auquel nous sommes confrontés dans le tissu de l’excellent traité qui nous est offert sans fixer sur lui le regard. Si nous avons des ennemis, il sera temps de le ressortir.

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