La fin de l’idéologie

dimanche 18 mai 2008, par Thierry Leterre

L’épuisement des idées politiques s’apparente plutôt à ce que nous appelons désormais la « pensée unique » qu’à la fin des discussions politiques ou même des idées politiques.

 Le cours

La Fin de l’idéologie  : tel est le titre d’un livre de Daniel Bell (1960) qui a été largement discuté, et dont on a souvent interrogé la pertinence, voire les orientations conservatrices. Daniel Bell est revenu sur son livre dans un article traduit en français par Commentaire, La fin de l’idéologie, 25 ans après. La thèse de Bell est que le marxisme cesse de dominer le paysage intellectuel dès les années 60 ; cela ne signifie pas d’ailleurs la fin des mouvements sociaux fondés sur des justifications “théoriques” ou pseudo-rationnelles, mais la fin de telles justifications à caractère global. Pour Daniel Bell, les protestations des années 60 (ce que nous appellerions la “pensée 68” sont des retour de flamme de tendances sociales apparues dès les années 50. La fin de l’idéologie, au sens de Daniel Bell est donc la promotion de l’interrogation politique sur les moyens plus que sur des fins ultimes, ou bien l’incapacité à définir des buts globaux pour l’humanité. Comme il le note dans son article traduit par Commentaire, citant son livre de 1960 :

... ce qui est extraordinaire c’est que, au moment où les vieilles idéologies et les vieux débats intellectuels du xixe siècle se sont épuisés, les Etats naissants d’Asie et d’Afrique modèlent de nouvelles idéologies qui suscitent un intérêt différent chez leurs peuples. Il s’agit des idéologies d’industrialisation, de modernisalion, de pan-arabisme, de celle de la couleur et du nationalisme. (...) Les idéologies du xixe siècle se voulaient universalistes, humanistes, et étaient modelées par les intellectuels, Les idéologies de masse d’Asie et d’Afrique sont particularistes, ont un caractère instrumental et sont le fait des dirigeants politiques. Les forces motrices des vieilles idéologies étaient l’égalité sociale, et d’une manière plus large, la liberté. Les aspirations qui sous-tendent les nouvelles idéologies sont le développement économique et la puissance nationale.

Ainsi l’épuisement des idées politiques (tel est le sous-titre du livre) s’apparente plutôt à ce que nous appelons désormais la “pensée unique” qu’à la fin des discussions politiques ou même des idées politiques ; c’est l’étendue de leur capacité de mobilisation et leur objet qui est visé, leur diversité conflictuelle, bien plus que leur existence.

 Les citations

Raymond Aron, Du bon usage des idéologies, Commentaire, n°  48, hier 1989-1990.

Si l’on entend par idéologie, en un sens proche des dérivations, toutes les idées ou tous les ensembles idéels, liés à un certain groupe social, qui en reflètent la conscience socio-historique et en justifient les revendications, des discusions, même théologiques, peuvent passer pour idéologiques ! En un sens étroit, idéologies et controverses idéologiques cractérisent les sociétés qui définissent elles-mêmes leur devoir-étre, ne disposent ni dans le cosmos ni dans un dogme religieux d’un modèle auquel se conformer et qui se jugent elles- mêmes ˆ l’aune de leurs princires ou de leurs idéaux.

 Maine de Biran

L’idéologiste se charge de comprendre l’origine des idées

 Jean-Paul Sartre

[Les idéologues] donnent à la théorie des fonctions pratiques et s’en servent comme d’un outil.

 Raymond Boudon, L’idéologie, l’origine des idées reçues, Paris, Fayard 1986.

Les explications du phénomènes font appel à des principes hétéroclites (...) les théories de l’idéologie s’opposent les unes aux autres sur un objet qu’elles définissent différemment, et (...) l’important corpus qu’elles constituent a souvent en conséquence, l’allure d’un dialogue de sourds.

 Engels, lettre à Mehring 14 juillet 1893

L’idéologie est u nprocessus que le prétendu penseur accomplit bien avec conscience, mais avec une conscience fausse. Les forces motrices qui le meuvent réellement lui demeurent inconnues ; sinon elles ne seraientcertainement pas un processus idéologique.

 Engels et Marx (note biffée de l’Idéologie allemande)

...toute l’idéologie se réduit ou bien à une conception fausse de [l’]histoire ou bien aboutit à en faire totalement abstraction.