Un petit essai à partir d’un sujet de Terminale, assez difficile du reste.
Connaître, c’est savoir le vrai de quelque chose, c’est-à-dire à la fois en avoir la conscience réfléchie et savoir que cette conscience possède un objet réel. De ce fait, la connaissance se distingue de l’imagination (qui est une forme de conscience réfléchie mais dont l’objet n’est pas réel) ou de la simple perception (qui suppose certainement la conscience et un objet mais qui se caractérise par son caractère immédiat, non réfléchi). La connaissance possède donc deux aspects assez différents et se définit même par leur union. D’une part, la connaissance est un procès intellectuel ; d’autre part, il faut que ce processus corresponde à un objet extérieur, sinon cela s’appelle une erreur. Faire une erreur en effet, c’est justement croire savoir le vrai, alors que cela ne correspond pas à quelque chose de réel : par exemple, une erreur de calcul n’est pas une absence de calcul, mais un calcul véritable, donc un procès intellectuel, qui ne correspond pas au résultat réel. On peut donc dire que dans la connaissance on se « représente » le vrai, et de ce fait on peut se demander si connaître c’est, en un sens très général, se représenter. Dans un premier temps, on ne peut guère contester que la connaissance soit une forme de représentation. Mais on doit se demander toutefois si ramener la connaissance à la représentation n’est pas une réduction : en effet la connaissance n’est pas n’importe quelle forme de représentation, mais la représentation du vrai. Ce constat suggère que la connaissance est peut-être au-delà de la représentation une forme de présentation du réel.
Connaissance et vérité
Quand on connaît quelque chose, on en sait la vérité, c’est-à-dire qu’on sait ce qu’elle est ; on pourrait d’ailleurs étendre la formule en disant que lorsqu’on « connaît quelqu’un » c’est savoir « ce qu’il est », et en ce sens, savoir ce qu’il est vraiment. Parce qu’elle est un savoir, la connaissance est par essence un processus intellectuel réfléchi. Autrement je ne « connais » pas, j’imagine ou je perçois. Ce qui fait la qualité de connaissance, c’est justement le caractère « pensé », « réfléchi » du rapport à une chose ou une personne. Ainsi quand on dit que l’on « connaît » quelqu’un cela signifie qu’on fait plus que le fréquenter, ou bien que cette fréquentation est tout ce qu’il y a à dire de cette personne. Quand on connaît quelque chose (par exemple connaître la solution d’une équation) cela veut dire qu’on est capable de mener un raisonnement permettant la résolution de l’équation proposée. De ce fait, connaître, c’est bien se représenter, c’est-à-dire avoir une démarche d’intelligence, c’est la mise en mouvement de nos facultés intellectuelles. Ainsi chez Platon, la connaissance est le chemin que l’âme ’ ou plutôt la partie raisonnable de l’âme ’ parcourt pour atteindre aux essences absolues des choses, ce qu’il appelle les Idées. Inversement, s’il n’y a pas un effort de pensée il n’y a pas ce que nous nommons la « connaissance » ; il y a des préjugés ou des passions, qui sont définies de manière classique (par exemple chez Descartes) non comme le travail de l’intelligence, mais comme l’effet du corps sur l’intelligence. Ainsi je vois le soleil se lever et j’imagine que le soleil tourne autour de la terre : je n’ai pas réfléchi assez, et je ne me suis pas demandé si l’inverse pourrait être vrai, et peut-être correspondrait plus exactement à la vérité. C’est ce travail d’interrogation, d’argumentation, de raisonnement qui fait la connaissance. Or, s’interroger, argumenter, raisonner, c’est précisément tenter de se « représenter » comment sont les choses. Du reste, le progrès de cette activité intellectuelle, la pénétration plus grande de la représentation, constituent des degrés dans la connaissance. On connaît « un peu » un sujet quand on y a peu consacré d’effort ou d’attention, et on le connaît « à fond » quand on y a beaucoup réfléchi : à chaque fois, c’est la dimension intellectuelle, « représentative » qui constitue la connaissance. Connaître, c’est donc se représenter, au sens d’une activité intellectuelle. Et sans représentation, il n’est nulle connaissance.
Connaissance et représentation
Que cette activité intellectuelle soit appelée « représentation » s’explique par le statut second (médiat, en termes techniques) de la connaissance. Un objet se présente dans la perception et se « représente » (se « re »-présente) une second fois à mon esprit. Comme on dit, connaître quelque chose, c’est « s’en faire une idée », c’est-à-dire en quelque sorte dupliquer dans mon esprit les caractères essentiels de cette chose, qui me permettent de l’analyser. La représentation c’est en quelque sorte l’écriture sur ce bloc de cire dont parle Platon dans le Théétèteet qui serait dans notre âme : c’est l’impression que les choses font sur nous, et la connaissance se produit lorsque cette impression est correcte. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il y a, souvent une dimension morale à la connaissance. Pour Platon, l’effort de la connaissance est un travail de l’âme sur elle-même, et la science ’ terme de la connaissance ’ est donc l’effort que nous faisons sur nous-mêmes pour être meilleurs, en plaçant au premier rang de nos soucis le perfectionnement de ce qu’il y a de meilleur en nous, la partie raisonnable de l’âme. En ce sens, la connaissance nous tourne vers nous-mêmes ; elle nous indique le chemin vers ce qu’il y a de plus précieux en nous, la raison. Cela signifie que la vérité d’une chose n’est pas cette chose en elle-même, mais la représentation que j’ajoute à cette chose. Ce point est radicalisé chez Kant, qui indique que notre connaissance ne se règle pas sur les choses, mais bien les choses telles qu’elles s’offrent à nous ’ les phénomènes ’ sur notre faculté de connaître. Si je vois le soleil se lever, puis décrire son orbite au long de la journée, je ne sais rien de son mouvement, même de son mouvement apparent : ce n’est qu’un constat. Je ne connais que lorsque j’ajoute à ce constat mes idées, mes « représentations », lorsque je me « représente » ce mouvement, et que cette représentation permet de rendre compte effectivement du mouvement du soleil. Il y a donc une dimension subjective à la connaissance, et c’est ce qu’indique le fait de « se représenter » ce qu’on connaît.
Connaissance et subjectivité
Toutefois, que serait une connaissance « purement subjective » ? Ce ne serait plus une représentation, mais bien une hallucination, c’est-à-dire une représentation sans objet effectif. En effet, même si connaître une chose c’est se la représenter, ce n’est pas simplement se la représenter, c’est se la représenter comme vrai. En ce sens, dans la connaissance il y a plus que la représentation, il y a aussi la question de la vérité. Sans doute, je peux me tromper et croire connaître, alors que c’est faux : les tenants du système de Ptolémée qui postulait que la terre était au centre du monde croyaient connaître la forme de l’univers. C’était une erreur, que Galilée entendait démontrer. mais pour eux, c’était une connaissance en ce sens qu’ils tenaient la représentation du monde qu’ils avaient pour vrai. Or, qu’est-ce que la vérité sinon le rapport à la chose ’ « l’adéquation de l’idée à la chose » comme le disait la vieille définition scolastique de la vérité ? En fait, connaître c’est moins se représenter, que chercher à se rendre présente la chose dans sa vérité : la connaissance est moins une représentation qu’une présentation. C’est ce qu’indiquait Platon quand il pensait que la connaissance était le fait de saisir l’Idée, c’est-à-dire l’essence absolue des choses, distinctes de leur apparence. Et si le Théétète semble conduire à une impasse (il est ce qu’on appelle un dialogue « aporétique »), où Platon n’indique pas clairement la solution au problème de la science qu’il a posé dans ce dialogue, c’est que justement il s’en tient à la représentation, et non à la connaissance comme présence absolue, non des choses mais des Idées des choses. Certes, l’attitude platonicienne est complexe, mais elle s’éclaire dans un autre domaine de la connaissance, celle des êtres humains. « Connaître quelqu’un » ce n’est pas simplement en avoir une idée de lui, c’est une fréquentation intime, personnelle, non de sa « représentation » mais de sa personne. Autrement dit, c’est sa présence, non sa représentation qui est l’objet de ma connaissance. Même dans des sujets très abstraits, et même parfaitement conceptuels, ce phénomène se constate : ainsi les mathématiciens acquièrent une familiarité (comme on dit) avec leurs équations qui est justement de l’ordre d’une présence ; ils peuvent repérer qu’il y aune erreur sans avoir à passer par un raisonnement, mais par ce qu’on appelle l’intuition. En fait, pour la connaissance, la représentation n’est qu’un outil, ou une étape : elle nous permet de passer outre les apparences, par la réflexion, la compréhension, l’analyse, le raisonnement. Mais connaître ce n’est pas raisonner sans fin, analyser sans fin, comprendre sans fin : c’est justement le moment où toute cette activité de la représentation cesse et qu’on est en présence de la chose même. Connaître le mouvement du soleil, ce tout simplement savoir que ce que l’on voit ’ que le soleil tourne autour de la terre ’ est l’effet d’un phénomène inverse ’ la terre tourne autour du soleil ’ par le moyen du raisonnement.
conclusion
S’il y a un intérêt à la connaissance, si la connaissance est précieuse, quelle qu’elle soit pourait-on dire, c’est qu’elle n’est pas simplement l’étude des choses, mais la révélation de notre intelligence des choses. Mais cette intelligence n’est pas simplement le fait de se « représenter des vérités », mais plutôt, selon une phrase de Platon, « d’aller vers le vrai de toute son âme ».