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Une Europe à deux têtes sera-t-elle plus forte ?
La Croix vendredi 17 janvier 2003 Rubrique « La Question »

vendredi 9 septembre 2011, par Thierry Leterre

En 2003, mon ami Sébastien Maillard m’interroge sur l’accord franco-allemand que le traité à valeur constitutionnelle développe quelques années plus tard. J’y exprime déjà des doutes sur la logique de l’Union en matière politique, distinguant entre « diplomatie » et « politique ».

« Politologue, professeur à Sciences-Po et vice-président de L’université Versailles-Saint-Quentin, Thierry Leterre estime que l’accord Chirac-Schröder cristallise les rapports de force dans l’Union sans apporter du neuf dans la construction européenne.

La proposition franco-allemande annoncée mardi sur les futures institutions européennes a pour ambition d’apporter « clarté, légitimité et efficacité » à la réforme. Ces trois exigences sont-elles remplies, selon vous ?

Thierry Leterre : Dans un sens, oui. La proposition a le mérite de la clarté, même sous des apparences compliquées : un président du Conseil européen élu par ses pairs, un président.de la Commission élu par le Parlement européen. Ces modes de désignation confèrent, bien sûr, aux institutions que ces élus président une plus grande légitimité. Enfin la proposition franco-allemande apporte de l’efficacité : elle vole la vedette a la Convention établie pour tra-failler sur ces questions ! Cet accaparement spectaculaire de l’attention par les chefs d’Etat est d’ailleurs choquant. C’est à la Convention de se faire entendre.

Un compromis franco-allemand sur un sujet si important l’est-il pas le bienvenu a la veille du 40e anniversaire du traité scellant l’amitié entre nos deux pays ?

— Sans aucun doute. On sait bien que sans compromis franco-allemand, il n’y a pas d’Europe qui se construise. Mais c’est toute la différence entre un compromis et un projet. Un compromis est le fruit de négociations entre deux Etats, une entente entre puissants, pas un mouvement collectif de peuples. En ce sens, c’est de la diplomatie européenne, pas de la politique. L’accord stabilise la situation actuelle, la cristallise, voire la rigidifie, mais ne crée pas de nouvelle donne. L’Europe n’en sort donc pas grandie.

—Un président élu de la Commission de Bruxelles ne rend-il pas cette institution plus politique ?

— Non. Ce n’est pas seulement le mode de désignation qui détermine le poids politique. Le jour ou le Parlement européen pourra renverser la Commission non pas sur des affaires (NDLR : renversement de la Commission Santer), mais sur le fond des politiques qu’elle conduit, alors la Commission sera vraiment responsable devant le Parlement et deviendra un organe politique. Le Parlement est d’ailleurs le perdant du compromis franco-allemand puisque sa seule fonction sera d’élire la tète de la Commission, soit une autre institution que la sienne, et sur laquelle il a peu d’emprise. Le président du Parlement sera affaibli dans cette Europe bicéphale.

— La « méthode communautaire » est-elle compromise au profit de la coopération entre Etats ?

— Non plus. Un mode d’élection ne change pas la manière de travailler ensuite. Encore une fois, la proposition franco-allemande ne modifie pas l’architecture européenne actuelle, il la stabilise en renforçant les piliers.

— Ne faut-il pas craindre des dissonances entre les deux têtes de l’Europe ?

— Tout dépend de la manière dont ces personnalités conçoivent leur fonction et de leur bonne volonté car il est vrai que l’accord franco-allemand ne précise pas leurs relations. Si le président du duConseil européen multiplie les déplacements à travers l’Union, prononçant partout des discours vigoureux, il sera remarque et pèsera. C’est d’abord une question de personne.

—Avec la création d’un ministère européen des affaires étrangères à la place des deux postes actuels qu’occupent Javier Solana et Chris Patten, la voix de l’Europe dans les relations internationales sera-t-elle mieux entendue ?

—Non . Qu’il y ait une, deux ou trois voix ne change rien, tant que l’Europe n’élabore pas de politique étrangère commune. C’est, bien sûr, difficile puisque l’Union est composée d’Etats qui ont tous leur longue et grande tradition diplomatique propre, et qu’ils ne sont pas près d’abandonner. Si l’Europe n’a pas de politique étrangère commune, qu’importe de disposer d’un mégaphone institutionnel !

Recueilli par Sebastien MAILLARD