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Hommage à Antony Holiday
Résistant Sud Africain et Philosophe

dimanche 12 octobre 2008, par Thierry Leterre

Antony Holiday est mort le 10 juillet 2006. Formé dans la grande tradition d’Oxford, il fut un éminent philosophe, ainsi qu’un grand résistant, et, pour ses amis, un homme de coeur et de fidélité. Ces quelques lignes ont été écrites, avant sa mort, dans le cadre d’un article encore à publier.

Il n’est pas possible d’aborder la philosophie d’Anthony Holiday sans mentionner, au moins brièvement, le contexte bien particulier dans lequel elle prend place. Anthony Holiday n’est pas seulement un penseur du changement démocratique sud-africain. Il en est aussi un acteur et sa philosophie représente tout aussi bien un effort en vue d’une démocratie authentique — effort douloureux dans un pays où justement le débat critique passe très rapidement pour une trahison, surtout quand il vient de la part de l’une des grandes figures de la résistance à l’apartheid [1]. Ce point attire aussi l’attention sur le fait qu’Anthony Holiday ne s’est pas seulement engagé intellectuellement. Il a également été un des hommes de l’ombre dans cette « jungle souterraine » de la clandestinité. Il vit la double vie d’un reporter au Cape Times, et d’un agent de renseignement de l’ANC interdite, sympathisant d’un parti communiste, également interdit. Formé à Londres, il anime la cellule propagande au Cap. Le tribut à payer pour cet engagement est lourd : arrêté le 28 juillet 1976, il tombe sous le coup du chapitre 6 du Terrorist Act et se voit condamné à 7 ans de prison.

Ces circonstances pesèrent sur la vie de l’homme qui dut, une fois sa peine servie, s’exiler en Grande Bretagne, et je me souviens d’un jour où, sur un boulevard parisien grisâtre, il me confiait à quel point ce climat froid, pluvieux et gris était difficile pour un Africain.

L’ironie des tragédies humaines c’est qu’elles peuvent être fécondes. En prison, Anthony Holiday saisit l’occasion de suivre des études par correspondance et passe son Master en philosophie. Il complète cette formation philosophique par un doctorat soutenu à Oxford consacré à la question de la règle morale chez Wittgenstein. La prison fut une cassure — le long éloignement de soi que suppose un internement de plusieurs années — et une métamorphose. Le reporter s’était mué en philosophe, le militant en chercheur. Non pas d’un coup : durant les années d’exil, il demeure un activiste au service de l’ANC. Mais quand tombe le régime d’apartheid, il ne brigue aucun poste gouvernemental d’aucune sorte, et s’installe à un poste de Senior Lecturer à l’université du Western Cape, une « HDI » (historically disatvantaged insitution) initialement réservée aux « métis » (selon la nomenclature d’apartheid, qui pratiquait aussi la ségrégation universitaire).

Le choix de l’université ne signifie en aucun cas un désintérêt pour la vie publique mais plutôt à une réorientation de la participation d’Anthony Holiday à celle-ci. C’est désormais dans l’opinion publique que s’exerce son influence, par ses contributions à différents journaux classés à gauche et il put se décrire un jour avec ironie comme « quelque chose comme un “intellectuel organique pour l’Afrique du Sud” ». Sa production philosophique elle-même est rarement éloignée d’une considération de la situation de l’Afrique du sud : son intérêt pour la question de l’esclavage « la servitude du mal », tout particulièrement, sa réflexion sur le pardon en témoignent. Ce sont autant d’analyses destinées à une société dont au fond il estime qu’elle n’a pas simplement à se remettre de l’apartheid mais d’un type de colonisation particulièrement corrupteur pour les relations humaines [2].

Si l’exigence de pensée a succédé à la tentation de l’action, c’est que pour Anthony Holiday la démocratie requiert un effort philosophique. Le résultat en est une prise de distance par rapport au militantisme. S’il ne renie rien de ses engagements passés, ses critiques n’épargnent pas l’ANC au pouvoir, l’impéritie de sa politique extérieure, son incapacité à désavouer les crimes commis en son nom « qu’ils soient justes ou non », comme c’en est fini du marxisme. Philosophe, Anthony Holiday développe une conception éthique de la vie publique, et son métier d’enseignant chercheur répond à la volonté de contribuer au changement non par l’action directe, mais par la réflexion critique.

Notes :

[1] Voir par exemple la présentation éditoriale du numéro de mai 2000 de Leadership : University of the Western Cape academic Anthony Holiday’s article this month is sure to attract an equally robust response. He laments the quality of debate in parliament, and argues that rigorous analysis and debate is vital to democracy.

[2] De son ancienne profession de journaliste, mais aussi de la tradition philosophique anglaise, il a d’ailleurs gardé le goût pour les articles, qu’il préfère aux ouvrages, y compris dans son activité de philosophe (il n’a publié de livre que sa thèse doctorale).