> Textes > Philosophie > Ce qui est normal et ce qui est naturel... est-ce la même chose (...)
Ce qui est normal et ce qui est naturel... est-ce la même chose ?

jeudi 1er novembre 2007, par Thierry Leterre

Un sujet de baccalauréat qui m’avait été soumis par un membre de ma famille.

Quand on dit « c’est tout à fait naturel » on peut dire pour exprimer la même idée « c’est tout à fait normal ». Cette équivalence semble nous montrer que le « normal » et le « naturel » sont des choses identiques. Ce qui est normal est naturel et réciproquement. En même temps, on peut se dire qu’il y a des aspects de l’existence qui sont naturels mais qui ne sont pas du tout normaux : la maladie, la mort, la souffrance, sont bien naturelles - hélas ! - mais elles ne nous paraissent que rarement normales - heureusement ! Ici, il faudrait dire exactement l’inverse de la situation précédente : ce qui est naturel n’est pas normal du tout. D’où une contradiction apparente : ce qui est naturel peut être normal ou anormal selon les cas. Pour rendre compte de cette difficulté, il faut comprendre dans une première partie pourquoi on identifie souvent le normal et le naturel ; ensuite, dans une deuxième partie, on pourra se demander si la nature n’est pas au fond, tout ce qu’il y a de mal, d’anormal, dans nos comportements. Dans une troisième partie, on verra qu’il faut faire une distinction entre ce qui est normal, même si c’est différent de quelque chose de « naturel », et ce qui est anormal parce que « contre nature ».

 Ce qui est naturel semble normal et réciproquement

1/ Tout d’abord, ce qui est normal est naturel. Que veut dire « normal » ? C’est ce qui est « dans la norme », c’est-à-dire ce que les êtres humains, acceptent. Autrement dit, ce qui est normal, c’est une sorte d’accord entre les personnes qui peut d’ailleurs être différent selon les sociétés. Par exemple il est normal de manger avec ses doigts en Inde, normal de manger avec des baguettes en Chine, et normal de manger avec des couverts en Occident. Cela varie selon les pays et les cultures ou même dans les groupes sociaux : il est normal pour un parisien de marcher en ville sur de longues distances, alors qu’en province on prendra sa voiture même pour faire cinq cents mètres. Mais pour tous les gens qui se livrent à de tels comportements, ce qui est normal, est naturel. Pour le provincial il est « naturel » de prendre sa voiture, comme pour parisien il est naturel de ne pas le faire.

Cette situation pose quand même un problème : après tout, est-ce qu’elle ne veut pas dire que la nature change selon les hommes ? Puisque ce qui est naturel pour les uns ne l’est pas pour les autres ? or cela semble contradictoire, car ce qui est naturel, c’est ce qui est partout pareil : ainsi la nature de l’homme semble universelle, sinon il y aurait des hommes différents les uns des autres, et le croire est une idée raciste ou inégalitaire. Si ce qui est normal est naturel, et si tout ce qui est naturel est la même nature pour tout le monde, alors tout ce qui normal devrait l’être pour tout le monde. Il faut donc se demander si ce qui est normal n’est pas très différent de ce qui est naturel.

 Mais la nature n’est-ce pas le mal ?

2/ Si l’on met à part l’expression « nature de l’homme », il est frappant de constater que lorsqu’on parle de nature, on parle de quelque chose d’étranger à l’homme. Le mot nature a plusieurs sens. Le premier, le plus connu, c’est le sens de ce « l’environnement » : les forêts, la campagne, c’est la nature. Dans un autre sens, la nature c’est le monde tout entier, l’univers. Par exemple quand on dit que la « nature est bien faite », cela veut dire que l’univers obéit à des lois qui sont merveilleusement bien organisées, et qui permettent au monde d’aller pour le mieux. Ce qui frappe dans ces remarques, c’est que la nature, c’est ce qui n’est pas l’homme ; ainsi quand on parle de la nature comme de la campagne, la nature, ce sont les animaux (les oiseaux des champs, le bétail etc.) et la végétation (forêts, champ…) mais pas les êtres humains qui y habitent. On peut alors indiquer deux thèmes :

- La nature, autre de l’homme. En ce sens, si le « normal » c’est ce qui relève de la « norme » humaine, la nature n’est pas « normale » - on dirait même qu’elle n’est pas « normalisée ». Elle foisonne, se développe, et même meurt à son propre rythme que l’homme ne peut influencer.
- Mais cette absence de « norme » dans la nature peut aussi bien conduire à radicaliser notre propos. La nature, c’est peut-être le mal, l’anormal. l’homme est son âme, la nature c’est son corps, donc son péché. La nature de l’homme, c’est de ne pas être un « être de nature ».

 Normal, Naturel, Contre nature.

3/ En fait, on peut dire que le normal n’est pas naturel, mais que ce qui est normal doit être en accord avec la nature. Bref, « commander la nature en lui obéissant » (Bacon). Par exemple le meurtre semble contre nature. Mais tous les hommes ne qualifient pas de meurtres les mêmes attentats à la vie d’autrui (la peine de mort est normale pour les Américains, pas pour les Européens ; mais comme toute civilisation les uns et les autres admettent que normalement - naturellement - on ne tue pas les hommes. Ex. des baguettes, couverts et doigts : dans tous les cas, il faut manger. Le normal, c’est la manière humaine de percevoir la nature et de la transformer. __ornament.png__ Il reste une dernière possibilité à explorer : la transformation de la nature « contre nature ». En effet, la norme n’est pas seulement une seconde nature - pour parodier le mot d’Aristote parlant de l’habitude. Elle peut être une volonté de jouer avec la nature en imposant des normes humaines à la nature. On pense aux problèmes que soulèvent par exemple les OGM : n’est-ce pas une volonté de normalisation du naturel, le retournement des normes qui nous semblent naturelles en une nature qui devrait devenir…normale ?